L’hebdomadaire « Télémoustique » y est allé, en couverture s’il vous plait, d’un titre fracassant dans son édition du 2 avril dernier : « Le dossier noir de l’énergie verte ». Avec un sous-titre racoleur en prime qui a dû procurer des sensations étrangement excitantes à plus d’un propriétaire de Porsche Cayenne: « Quand l’écologie se trompe »…

Eolienne_fumee250.pngEn guise de dossier noir, on a eu droit à un bien singulier amalgame : à notre gauche, les biocarburants. A notre droite, l’énergie éolienne. Allons bon. Les biocarburants, même le boss de Nestlé dit que c’est de la crasse, que ça va mettre en péril les ressources alimentaires de la planète (si ce brave homme se met à proférer des choses intelligentes, est-ce à dire que ses velléités de privatiser l’eau sont intelligentes aussi ? C’est troublant, ces salauds qui cessent de l’être à l’occasion). Mais l’éolien ? En quoi que ça peut être un dossier noir, l’éolien ?

En fait, de la lecture de ce prétendu dossier noir, on ressort singulièrement conforté dans certaines opinions basiques : 1° Télémoustique n’est pas « Science et vie » ; 2° On ne le lui demande pas non plus, mais encore faut-il qu’il le sache ; 3° Malheureusement, il y a plus de belges qui lisent Télémoustique que de belges qui lisent « Science et vie » . Bref, cet article assène sans les étayer le moins du monde des grandes affirmations, par exemple celle selon laquelle les pays qui développent de l’éolien verraient leurs émissions de CO2 augmenter. Surtout pas de chiffres, ça ferait vulgaire. Ca vous permet entre autres d’affirmer que le Danemark, roi de l’éolien, voit ses émissions de CO2 stagner, alors que c’est parfaitement faux. Mais votre problème à vous, c’est que votre beauf lit « Télémoustique », et qu’à la prochaine communion, il va vous le ressortir, cet article.

Au-delà de l’anecdote, le dénigrement de l’éolien devient un vrai problème. Les questions d’esthétique, on ne les tranchera jamais. On peut trouver les éoliennes superbes, y en a qui trouvent que des cheminées d’usines, c’est magnifique. Autre argument souvent entendu : les éoliennes tuent les oiseaux… Sur un oiseau touché par une éolienne, 1000 sont écrasés sur nos routes par les propriétaires de Porsche Cayenne dont nous parlions plus haut… On peut aussi couper les ailes aux canards en tous genres, du style que le lait des vaches tourne en même temps que les pales ou que l’effet stroboscopique peut rendre fou. Il parait qu’une rumeur, sur une île du pacifique, attribuait aux éoliennes l’inconvénient majeur d’attirer les requins. Là n’est pas le vrai problème.

Car il y a des arguments plus énervants, d’autant plus énervants qu’ils se drapent de vertus écologiques. Le site de l’association « Vent-contraire » est révélateur à ce point de vue : les éoliennes, d’après lui, polluent. C’est le fameux argument de l’intermittence : quand les éoliennes ne tournent pas, il faut qu’un autre moyen de production prenne le relais. Comme autre moyen de production, on vous choisit le plus polluant possible (le charbon, par exemple, c’est super sale), et paf : CQFD. L’éolien pollue.

Ils n’ont évidemment pas inventé ça tout seuls, ces webmasters de la vulgarisation sans effort : le célèbre André Berger est passé par là, et aussi un dénommé Joris Soens, de la KUL. Les cautions scientifiques, c’est du béton argumentatif, bien sûr. Ce serait si simple, si les scientifiques disaient tous la même chose… malheureusement, comme d’habitude, la réalité est un petit peu plus complexe. « By jove », comme dirait Francis Blake.

L’argument le plus utilisé par les pseudo-scientifiques est ainsi l’intermittence : les éoliennes tournent 1/3 du temps, donc quand elles sont arrêtées, une autre énergie doit prendre le relais… Evidemment, on prend comme exemple un relais le plus polluant possible, telle une centrale au charbon. Bref, à l’installation d’une éolienne, il faudrait prévoir un équivalent en énergie produite de manière classique DONC l’éolien pollue.

L’argument de l’intermittence pourrait à la limite être discutable dans le cadre de 100% d’énergie produite par l’éolien… Ce qui n’est absolument pas le cas ! Lorsque la production des sources intermittentes diminue, les sources renouvelables disponibles à tout moment (bois, biomasse, biogaz, géothermie, hydraulique) peuvent prendre le relais pour satisfaire la demande d’électricité. Dans ce cas, il n’y a pas d’augmentation des émissions de CO2 lorsque les éoliennes s’arrêtent !

En outre, ne soyons pas chiche : les sources d’énergie qui doivent prendre le relais existent déjà. Il ne s’agit donc pas de créer de nouvelles centrales polluantes. Au contraire dans notre situation, tout ce qui est produit par l’éolien n’est pas à produire par des moyens classiques…

Au-delà de ces arguments, le point clé réside dans la gestion du réseau. Celui-ci est géré à l’échelon européen, donc une baisse de production localisée sera compensée par une hausse ailleurs. Dans un réseau bien géré et interconnecté, les variations de production peuvent donc se compenser, de préférence en y ajoutant des sources d’énergie renouvelables.

Les progrès les plus fondamentaux sont donc à faire dans la gestion des réseaux pour anticiper le rapport production/consommation par des courbes de prédiction plus efficaces.
La production peut en effet être lissée par des sources diversifiées de production et par la limitation de l’inattendu, notamment grâce aux prévisions météo.

Enfin, il reste beaucoup de progrès à faire pour agir à la base du système : la demande des consommateurs, industriels et ménages.

En guise de conclusion, nous retiendrons que le recours à l’énergie éolienne induit la diminution de l’utilisation de sources de production polluantes, on le sait dès lors que l’on dispose des bonnes sources d’information. Il est toutefois important de rester sensibilisé à l’impact paysager et naturel des éoliennes en planifiant l’implantation des machines de manière optimale. Dans tous les cas, il convient de faire particulièrement attention à ce que ce débat ne soit perverti par de fausses idées basées sur des principes comme l’intermittence.

Mais ceci dit –pour rassurer les angoissés- pas de lézard : c’est les éoliennes qui vont gagner, hein. A la fin.

Bruno Ponchau