Texte rédigé par Francesco Ajena du Parti Vert Européen. Merci à lui pour son expertise et la rédaction de cet article!

Le lundi 17 Avril, à Perwez, Brabant Wallon, une centaine de manifestants et activistes se sont réunis à l’occasion de la journée mondiale des luttes paysannes, qui se tient chaque année en mémoire du massacre de 19 paysans sans terre le 17 avril 1996 au Brésil.

Les participants ont occupé pacifiquement une terre agricole menacée par un projet nuisible de contournement routier et d’extension de zoning. Des patates ont été plantées dans le chantier en signe de proteste, contre cet énième projet mettant en danger l’accès à la terre et à la sécurité de l’agriculture familiale en Belgique. Des ateliers et des débats ont aussi eu lieu, avec la participation d’une trentaine de syndicats paysans, ONG et associations environnementalistes.

En 2007, André Antoine (CDH), alors ministre de l’Aménagement du territoire, présentait un projet d’extension de la zone d’activité économique de Perwez ainsi que l’idée d’une route de contournement. Le projet vise à fluidifier le trafic de la zone en créant une liaison directe entre la RN29 et la zone d’activité économique de Perwez (avec un budget total de 6 millions d’euros).

Au début 2017, la construction d’un pont, en plein milieu des terres agricoles, a marqué le début du chantier.

Huit agriculteurs risquent ainsi l’expropriation d’une partie de leurs terres pour la construction de la route et l’extension. Plus de 55 hectares de terres agricoles pourraient être bétonnés avec un dégât immense pour ces familles, un impact environnemental majeure et une menace pour la sécurité alimentaire de la région.

Des alternatives viables, moins coûteuses et requérant moins d’expropriations ont été proposées par les agriculteurs concernés et l’opposition communale (dont Ecolo fait partie). Des routes déjà existantes pourraient être utilisées pour atteindre le but de fluidifier la circulation, reliant le zoning à l’autoroute, en réduisant l’impact sur l’environnement et les terres agricoles. Cette option a d’abord été refusée par André Antoine et ensuite opposée par Transitec1 lors d’une enquête qui leur a été commissionnée. L’impartialité de l’étude a été mise en doute par les agriculteurs.

Les huit agriculteurs concernés ont introduit au Conseil d’Etat une requête en annulation contre le permis d’urbanisme, mais celui‐ci a estimé que les moyens invoqués n’étaient pas suffisants et a validé le permis.

Le chantier de ce projet s’est transformé en symbole pour la lutte contre la disparition des surfaces agricoles et l’accaparement des terres qui menace l’agriculture familiale en Belgique et en Europe. La mobilisation de la population locale et de la société civile est le dernier recours dans ce cas, comme dans de nombreux autres cas similaires.

La menace sur les terres agricoles en Belgique, illustrée ici, n’est malheureusement pas limité à Perwez. Comme souligné par le Réseau de soutien à l’agriculture paysanne (RéSAP), alors que les Pays‐Bas ont une densité de population plus importante, 3.8 ares sont urbanisés par habitant, contre 6.7 en Wallonie. Avec ses 23.5 m de route par habitant, la Wallonie explose la moyenne européenne qui se situe à 9.5 m.

L’agriculture familiale domine la structure de l’agriculture de l’Union Européenne en termes de nombre d’unités et de contribution à l’emploi agricole. Sur 10.8 millions de fermes dans l’UE-28 en 2013, la grande majorité, 96.2%, sont classées comme fermes familiales. L’agriculture familiale nourrit l’Europe et le monde (en produisant plus de 60% de la demande), et elle est pourtant gravement menacée.

Les chiffres de 2010 montrent que dans l’Europe des 27, près de 3 % des exploitations contrôlaient déjà 50 % des surfaces agricoles. À l’inverse, en 2012, 80 % des exploitations ne possédaient que 12 % des terres.

Récemment, le 27 Avril 2017, le Parlement européen a voté un rapport sur “l’état des lieux de la concentration agricole dans l’Union européenne”, en reconnaissant pour la première fois le problème de l’accaparement de terre en Europe.

En Belgique, entre 1980 et 2010, 63 % des exploitations agricoles ont disparu (43 fermes disparaissent chaque semaine), la superficie moyenne des fermes a plus que doublé et 45 % des travailleurs agricoles ont abandonné leur activité.

Les causes sont à rechercher dans le modèle dominant : l’autonomie et le pouvoir de négociation sont de plus en plus limité face aux acteurs de la chaîne en amont et en aval, l’industrialisation est croissante, l’utilisation d’intrants chimiques détruit la rentabilité à long terme, l’expropriation de terres menace l’existence même de l’agriculture familiale.

Plutôt que de coûteuses infrastructures utiles seulement au grand capital, nous avons besoin de mesures structurelles construites collectivement avec la société civile, protégeant les terres agricoles et la biodiversité, encourageant la conversion vers une agriculture de type agro-écologique et les circuits courts, privilégiant l’agriculture familiale et paysanne, pour la défense de la souveraineté alimentaire des populations européennes.

De plus, de nombreuses études montrent que des initiatives d’agriculture locale sont en mesure de créer des emplois de qualité, non délocalisables. Une réorientation des politiques agricoles pour- rait créer des milliers d’emplois en Belgique.

La Belgique importe déjà une part très substantielle de ses denrées alimentaires de l’étranger. L’Europe, malgré la contribution des grands pays agricoles, importe l’équivalent de 23 millions d’hectares de terre agricole pour combler nos besoins alimentaires, entraînant des conséquences sociales et environnementales désastreuses sur notre continent ainsi qu’ailleurs dans le monde.

Cette dépendance est inacceptable au regard de ces impacts et présente un risque considérable pour notre sécurité alimentaire, surtout dans un contexte de changement climatique altérant la productivité agricole.

Cette journée a rappelé la détermination d’une part croissante de la population à repenser nos modes de vie et à défendre notre souveraineté alimentaire. Les négociations concernant les expropriations d’une partie des exploitations agricoles sont encore en cours, nous pouvons les arrêter.

L’agriculture familiale en Europe comme ailleurs dans le monde, est à la base de la subsistance de la population, et nous nous engageons pour la défendre.

Francesco Ajena, Parti Vert Européen, Expert en agroécologie et agriculture durable

Plus d’infos: www.luttespaysannes.be