Intervention de Marcel Cheron Commission du 15/07/2015 - « Vision stratégique » du rail belge par Mme Galant
Selon Touring Mobilis, les embouteillages structurels sur les routes belges ont atteint un nouveau record lors des six premiers mois de l’année 2015. La Belgique est le pays avec le trafic le plus dense au monde.
Touring nous dit que « l’augmentation du nombre d’embouteillages structurels est très alarmante. Nous nous trouvons face à un problème chronique qui nécessite des mesures drastiques. Ne rien faire coûterait des millions à la société ». Je dirais même des milliards. 8 milliards d’euros selon la FEB, sans compter les coûts indirects plus difficiles à chiffrer, comme les conséquences sur la santé et l’environnement.
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Madame la Ministre,
Ces éléments, combinés au contexte de coupe budgétaire de plus de 3 milliards d’euros sur 5 ans dans les crédits alloués au rail, témoignent des grands espoirs que certains avaient mis dans votre « plan de modernisation », rebaptisé injustement en « vision stratégique ».
Je dois le dire, c’est une déception. C’est même une désillusion puisqu’il n’est absolument pas question ici d’une vision du rail comme colonne vertébrale de la mobilité en Belgique. Votre « vision », Madame la Ministre, n’est en réalité qu’un plan de régression. Elle est un plan de justification a posteriori des économies budgétaires que votre gouvernement, et le gouvernement Di Rupo avant lui, imposez à la SNCB et Infrabel.
En effet, je ne vois aucune ambition, aucun souffle, aucune vision à long terme de ce que doit être l’offre ferroviaire dans ce pays déjà paralysé par les embouteillages. A aucun moment vous n’envisagez un scénario de croissance du nombre de voyageur, ou d’augmentation de la part relative du train dans la mobilité globale. Au contraire, la recherche de la rentabilité à tout prix annonce plutôt la compression de l’offre et l’augmentation des tarifs.
Ce que vous présentez comme une vision stratégique n’est qu’une préparation à la libéralisation, voire à la privatisation ou à la régionalisation de la SNCB. Et rien de tout cela n’apportera une solution à la congestion routière et à la pollution qui y est liée. Car en termes d’offre de transport, ce qui est pourtant l’essentiel, je ne vois que les 160.000 places assises supplémentaires que vous promettez pour 2030. Et même ceci n’est pas neuf: le PPI actuel prévoyait la création de 145.000 places entre 2017 et 2025, et ce chiffre reste insuffisant par rapport aux projections existantes .
Comme les associations de navetteurs, comme les syndicats, je crains que le service aux voyageurs soit globalement menacé.
– Vous annoncez l’évaluation de l’offre de train ligne par ligne. Quel en est l’objectif, sinon de légitimer la suppression d’arrêts ou de lignes moins fréquentées, surtout en zone rurale ? Alors que la logique doit être inverse : l’augmentation de la qualité du service et de l’offre de train en terme de fréquence, d’arrêts et d’amplitude doit amener de nouveaux utilisateurs à la SNCB, y compris en zone rurale. Par ailleurs, votre vision de l’intermodalité, soit le remplacement des trains non rentables par des bus, ne tient pas la route. De Lijn, la Tec et le Gouvernement wallon se sont déjà prononcés en ce sens.
– Vous annoncez la simplification des tarifs, tant mieux, mais je vois surtout que la flexibilité devient la norme, avec une politique tarifaire « différenciée selon les besoins et les profils des clients ». La flexibilité n’est pas facilement compatible avec la simplification, et amène souvent une augmentation des tarifs dommageable pour l’attractivité du train. Dans un avis du 24 juin, le Conseil central de l’économie vous a mis en garde contre les effets néfastes d’une telle politique. Je vois que l’avis des représentants des employeurs et des travailleurs ne vous fait ni chaud ni froid.
– Vous annoncez un focus sur une amélioration de la ponctualité pondérée pour arriver à 90 %. Même si c’est encore trop peu ambitieux, c’est une bonne chose. Cet objectif doit être atteint mais doit se faire en lien avec la réduction des temps de parcours. Par ailleurs, il est connu et reconnu (vous citez d’ailleurs l’audit de l’école polytechnique de Lausanne de 2011) que le renouvellement de l’infrastructure ferroviaire a connu un sous-investissement ces dernières années. Un tiers des retards sur le réseau découle des avaries à l’infrastructure. Si vous voulez atteindre les objectifs de ponctualité que vous annoncez, un effort colossal doit être réalisé en terme de maintien de capacité. Ce poste budgétaire doit être épargné par les économies envisagées afin de répondre aux priorités de sécurité et de ponctualité.
– Vous annoncez des chiffres faramineux en terme de compression des coûts internes et d’exigence de productivité : 20% annoncés sur la législature à raison de 4 % par an, là où le rapport Mc kinsey estimait à 9% le handicap de la SNCB par rapport à la moyenne de ses concurrents. A juste titre, ces chiffres ont suscité la colère des organisations syndicales. Si des efforts en terme de culture d’entreprises sont encore nécessaires malgré le chemin déjà parcouru par les travailleurs, une amélioration de la productivité de 20 % en 4 ans semble irréaliste. Sauf à se dire que vous souhaitez les atteindre par le non-remplacement du personnel. Pensez-vous que votre objectif soit réaliste ? Ne risque-t-il pas de mettre l’ensemble du secteur dans une situation périlleuse où le service ne pourra plus être rendu faute de personnel et d’expertise ? Par ailleurs, avez-vous réalisé une estimation budgétaire des répercussions de ce gain de productivité escompté (montant € – OPEX) ?
Dans votre introduction, vous soulevez notamment deux éléments considérés comme des risques majeurs pour la pérénnité du secteur ferroviaire belge.
1. La sous-utilisation de l’infrastructure ferroviaire belge n’est pas un risque mais une opportunité. La réduction de l’utilisation de l’infrastructure est en partie due à une politique de mobilité qui compresse les services depuis 2005. Avec en moyenne 158 trains par ligne par jour en suisse, 143 au Pays-Bas, 70 en Belgique, il reste dès lors de la marge pour augmenter l’offre de train/km.
2. Le manque de coopération et de concertation entre SNCB, Infrabel et HR rail ne trouve pas de solution suffisante dans votre plan. La logique reste trop souvent celles d’opérateurs qui agissent selon leurs propres intérêts, sans concertation et comptent sur le rapport de force pour imposer in fine leurs orientations. Comment comptez-vous changer cette situation ? Le principe de la « Convention de transport » prévu lors de la réforme des structures est-il abandonné ?
Madame la Ministre, dans votre « vision », je relèverai également qu’il manque certains éléments qui sont pourtant essentiels :
– Alors que l’accord de Gouvernement prévoit que « Les travaux d’achèvement du RER seront effectués au plus vite », je ne vois pas une ligne sur le RER et l’importance stratégique que ce chantier revêt dans la politique ferroviaire belge. Cet investissement est fondamental et sa finalisation doit être prioritaire, sans attendre l’avis d’un comité d’investissement qui ne verra pas le jour avant des mois.
– Dans l’accord du gouvernement, il était aussi fait allusion au principe des nœuds de correspondance. Le modèle suisse d’un cadencement en réseau est souvent cité en exemple en termes d’exploitation. Ces notions n’apparaissent nulle part dans votre vision, qu’en est-il ? Le principe est-il oublié ?
Enfin, Madame la Ministre, il convient d’appuyer certaines avancées :
– La volonté affichée de réformer la gouvernance et d’objectiver les choix d’investissements. Le travail sur les filiales avait déjà commencé, mais je ne peux que saluer votre volonté de continuer ce processus. Car il reste beaucoup à faire, également dans la gestion politique de ces entreprises : guerre pour les places au sein du CA, guerre entre les CEO de la SNCB et d’Infrabel, respect des règles de marché public, etc.
– Une adaptation plus souple dans la clé 60/40 dans une perspective de plus long terme
– La création d’une Académie du rail. Reste à savoir ce qu’elle apportera comme spécificité par rapport aux structures de formation existantes.
– La volonté de passer enfin à l’ère du numérique et de garantir un accès Wifi à bord des trains.
En conclusion Madame la Ministre, au-delà de certains points positifs que j’ai relevé, votre vision est pour moi surtout une illusion. Sous des airs de plan de modernisation, c’est plutôt la préparation (voulue ou non) de la privatisation ou de la régionalisation du rail belge que je redoute ici, au détriment du service aux usagers dont les segments les moins lucratifs seront sacrifiés sur l’autel de la rentabilité.
Nous serons alors dans la désillusion.
Je vous remercie.
Marcel Cheron
Ecolo-Groen