André Peters travaille à la BNB comme conseiller analyste et statisticien. Il est diplômé en sociologie, finances publiques et gestion. Il vient de publier un livre qui s’intitule « de la dictature financière à la démocratie monétaire », qui présente de façon simplifiée (mais pas simpliste) les enjeux du système monétaire.

Rétroactes : lors de la crise financière de 2008, la situation était critique. D’un point de vue économique, on aurait bien pu retourner au Moyen-âge si les banques centrales n’avaient pas réagi. Les banques étaient aux abois. Comment en est-on arrivé là ? Pour comprendre, André Peters a repris tous les concepts, un à un, pour détricoter le système, comprendre quelles sont ses caractéristiques et ouvrir la voie vers un autre système. C’est un livre d’espoir.

De la monnaie-valeur à la monnaie-crédit

Le système monétaire détermine notre vie. La théorie économique classique considère la monnaie comme inerte et neutre, mais en pratique c’est faux. La monnaie est une institution, un lien entre les gens. Aujourd’hui, la monnaie est technocratique. Elle n’est plus souveraine, et est sans lien avec les Etats. Pourtant, jusqu’à Bretton Woods, la monnaie était le résultat d’une action (extraction, transformation de l’or…). C’était un système basé sur une action passée. Aujourd’hui, la monnaie est auto-référentielle, basée sur rien d’autre que sa propre valeur.

La monnaie d’aujourd’hui est créée à 90 % par le crédit. Une entreprise ou un particulier qui veut de l’argent va chez le banquier. Celui-ci fait crédit et crée de l’argent par une simple écriture. La monnaie ne vient donc pas des banques centrales mais des banques privées. Le banquier n’aura besoin de « vrai » argent (de la banque centrale) que si on fait un échange de monnaie via une autre banque. La banque centrale européenne, elle, est prêteur en dernier ressort : les banques n’ont besoin de liquidité qu’au moment où il y a échange entre les banques. Si les liquidités ne sont pas disponibles à ce moment, c’est la BCE qui prête en dernier ressort.

Cette structure financière présente des avantages : elle a mené vers une société économiquement avancée, au niveau de vie élevé. Ce système est la base du capitalisme et du libéralisme depuis le 17e siècle.
Elle présente aussi des inconvénients majeurs : la société est extractive, basée sur une exploitation des ressources et une pollution sans limites. La croissance (du crédit) est indispensable, et donc exagérée. La structure financière est basée sur le résultat du crédit. La société est donc basée sur le résultat de la valeur future de la monnaie, mais actualisée.

Le cycle infernal du crédit

Voici une petite mise en situation concrète, pour comprendre comment fonctionne le système : imaginons un système économique propre à Grez-Doiceau. Avec, pour commencer, une banque et un client. La banque prête 1000 « blés » à son 1er client, qui crée une activité agricole avec ce prêt. La banque demande un remboursement de 1100 blés l’an prochain. Pour créer son activité économique, le client doit s’équiper. Il dépense les 1000 blés dans le village. Il travaille et fait une belle récolte, qu’il vend aux villageois. Il récupère les (ses) 1000 blés qui étaient dans le village. Il n’y a de toute façon pas plus que cela à récupérer. Il va rembourser les 1000 à la banque, mais ne peut pas rembourser les 1100 demandés, puisque le banquier n’a créé que 1000 blés.

On voit que la condition pour que le système fonctionne est qu’il doit y avoir d’autres prêts qui permettent de financer le remboursement des prêts précédents ! Pour survivre, le système doit donc toujours aller plus loin en terme de crédit, donc plus de croissance, plus de concurrence, plus de pression, moins de protection sociale, plus de dégradations environnementales… Le système est clairement intenable à long terme. Il mène à une dictature financière. La Belgique, la Grèce et d’autres pays sont à genoux face aux banques, et doivent respecter des normes financières, faire face à la concurrence entre les pays, etc.

Quelles alternatives ?

Si la monnaie est un bien commun, on doit réfléchir aux principes qui la dirigent, pour trouver un système et un mode de vie qui conviennent au plus grand nombre. Plusieurs solutions sont envisageables :

– La relocalisation via les Systèmes d’échanges locaux, les « banques de temps », les monnaies locales,…

– Le retour à la monnaie d’État : la création monétaire est privée depuis 1000 ans. Il faut rendre aux Etats la possibilité de battre monnaie. Mais quid de l’inflation, ou de la dette publique (déjà de 411 milliards en Belgique) ? On a vu des crises monétaires mémorables au Zwaziland, en Allemagne, etc. Il faut donc introduire un certain nombre de balises. L’État ne doit pas être le détenteur unique du pouvoir monétaire mais un compromis est possible.

A l’heure actuelle, les impôts payés par les citoyens servent en partie à rémunérer des privés, qui prêtent aux Etats, via le remboursement des intérêts de la dette. Il est inacceptable et immoral qu’un intérêt soit payé sur un investissement pour un bien/intérêt commun. La banque centrale du pays pourrait prêter à l’État pour des investissements vertueux, sans taux d’intérêts. Les critères doivent être stricts (pas pour le Contournement Nord de Wavre par exemple…), quitte à rentrer en démocratie participative pour définir les investissements utiles. L’affectation doit être définie de la manière la plus démocratique possible. En Suisse, il existe une monnaie spécifique pour les échanges entre entreprises qui le souhaitent (le Wir) et peut-être bientôt un système de monnaie pleine, qui est en réflexion : une monnaie suisse, pour les Suisses, émise par l’État.

Cet article est loin d’être exhaustif, et ne reflète que ce qui a été dit et débattu au cours du Conseil régional. Pour plus d’informations et, surtout, de solutions, référez-vous au livre d’André Peters : André Peters, De la dictature financière à la démocratie monétaire, L’Harmattan, ISBN : 978-2-343-09368-0