1ere partie : agriculture et modes de consommation

Le 02 juin, à l’initiative d’Ecolo Brabant wallon, 13 experts de la biodiversité nous ont partagé leurs inquiétudes sur l’état de la biodiversité, mais aussi les solutions pour arrêter le mouvement actuel, qui détruit les espèces animales et végétales, et leur habitat. Plusieurs grands thèmes se détachent : l’agriculture et les modes de consommation, les espaces naturels vs. l’urbanisation, et l’action publique. Dans cet article, nous aborderons les questions liées à l’agriculture.

Commençons par une mise en perspective par Thierry Hance, chercheur à l’UCL. Les dégâts sur la biodiversité sont énormes. Il fait le décompte : 13 millions d’hectares de forêt sont perdus chaque année, 60 % des récifs de coraux sont mourants, 12000 espèces sont menacées sur les 30000 qui sont suivies scientifiquement (40%!), 468 espèces ont disparu depuis 1900, la pollution des océans est telle que des « zones mortes » de plus de 6 millions de km² sont apparues, etc.

Thierry Hance insiste : ne croyons pas que, par exemple, la mort de la mangrove à Bornéo ne nous concerne pas. Elle est le résultat de nos modes de consommation en aliments transformés bourrés de graisse de palme dont l’exploitation est à l’origine de la déforestation indonésienne. De même, la forêt amazonienne est rasée pour produire du soja qui nourrira le bétail qui finit dans notre assiette, ou qui finira en « agro-carburant ». Plusieurs études font l’hypothèse que nous sommes aux portes de la 6eme extinction de masse des espèces animales et végétales. Une réaction forte est urgente et nécessaire.

Le modèle agricole, ennemi numéro 1

De manière globale, le plus gros défi pour la biodiversité réside dans la transformation du système agricole et de consommation. Celui-ci crée des produits et aliments transformés en industries, à bas prix, qui poussent à augmenter la taille des exploitations et les rendements via l’utilisation d’engrais et de produits phyto. Selon le professeur Philippe Baret (UCL), 90 % de la perte de biodiversité est à mettre sur le compte du système agricole moderne qui détruit les habitats ici, comme ailleurs : perte de forêts en Amazonie ou en Indonésie, recul des prairies, des zones humides, haies et bandes herbeuses chez nous. En Brabant wallon aussi, le modèle agricole intensif et la pression immobilières sont responsables de ce constat alarmant : une baisse de 75 % du nombre d’insectes depuis 1975, ainsi que le déclin de 55 % des espèces d’oiseaux de nos régions. Et le mouvement s’amplifie très rapidement : en 2014, il n’y avait « que » 37 % des espèces en déclin.

A juste titre, Philippe Baret met aussi en garde contre les racourcis : le problème est politique, et pas uniquement lié aux agriculteurs. La plupart des agriculteurs sont conscients des efforts à fournir, et tentent de diminuer leur impact sur l’environnement. Le gros défi se mesure quand Philippe Baret observe que les zones agricoles intensives, qui détruisent les habitats naturels de la biodiversité, ne servent pas à nourir l’humanité ! En Wallonie, 46 % de la production de céréales sert à l’alimentation animale, 32 %… à produire de l’énergie. Le gaspillage d’espace est énorme et représente près de 4/5 des surfaces de céréales.

Un choix politique

Il faut faire un choix de modèle, en sachant qu’un changement de mode de production (par exemple pour réduire de 75 % l’utilisation de produits phyto) impliquera une diminution de la production (rendement) de +- 28 %. Se posera aussi la question du revenu des agriculteurs et maraîchers : si les échelles se réduisent, quel modèle leur permettra de leur assurer un revenu décent ? C’est le système global qui doit être remis en cause: sortir de la course au rendement, réorienter les aides à la production, et compenser la perte de productivité en réduisant ou supprimant l’utilisation de ressources agricoles pour la production énergétique ou animale. Réduire la consommation de viande est une des solutions pour récupérer de l’espace dédié à une production « paysanne ».

Et attention : à moins de le rendre majoritaire (ce qui est illusoire à court et moyen terme) le recours aux circuits courts ne sauvera pas seul le monde : par exemple, aux Pays-Bas, 65000 producteurs produisent pour 16,7 millions de Néerlandais. Pourtant, ces denrées finissent par transiter par les 5 plus grandes centrales d’achats du pays qui concentrent pratiquement 99 % des flux. Le modèle de production doit être modifié à la source et inclure les gros acteurs agro-industriels, tout en renforçant les agriculteurs et les accompagnant vers de meilleures pratiques.

Ils ont décidé de bouger

Certains ont déjà fait le pas : c’est le cas de Nicolas Braibant, agriculteur à Corroy-le-Grand, en transition vers l’agriculture biologique. Sa remise en question est arrivée suite au scandale des farines animales et au regard de plus en plus méfiant des gens vis-à-vis des agriculteurs. Il décide alors de changer progressivement ses méthodes, installe un boucherie à la ferme, et crée même une entreprise agricole qui va accompagner les autres agriculteurs dans leur démarche de transition vers une production plus « propre ». Il lance également l’ASBL Regenacterre qui regroupe 58 agriculteurs, pour promouvoir l’agriculture de conservation (des sols), le non-labour, la couverture du sol, les rotations des cultures plus longues, la réduction des phytos, etc.
Pour lui, l’agriculture a besoin d’alternative, sans se focaliser sur le débat du glyphosate. Les agriculteurs souffrent de l’image qu’ils véhiculent auprès des gens, mais ne souhaitent pas revoir leurs pratiques par peur de l’inconnu. C’est le moment de ramener de la connaissance, de l’agronomie, dans les fermes. Nicolas Braibant appelle ses collègues à prendre leur modèle de production en main, sans avoir peur du changement.

Au-delà du changement de modèle appelé par les intervenants précédents, de nombreuses mesures concrètes et immédiates peuvent faire aussi bouger les choses, en restaurant les habitats. C’est ce qu’expliquent Hubert Bedoret (Natagriwal) et Sara Cristofoli (Faune et biotopes) : tout un panel de « mesures agrienvironnementales » existent, telles que les prairies naturelles, tournières ou bandes réservées à la faune, qui sont financées par l’Union européenne. L’ASBL Faune et biotopes travaille également à ce type de mesures, par exemple en visant l’implantation de 500 buissons sur une zone agricole définie. Ces actions peuvent paraître marginales mais ont un impact important sur les espèces qui les utilisent comme refuges et repères. Ils permettent de contrer le problème de l’agrandissement progressif des parcelles. On redécoupe les espaces, sans entraver le travail des agriculteurs. On crée dans le même temps un lien entre agriculteurs et riverains.

Dans la prochaine newsletter, nous aborderons le thème des espaces laissés à la biodiversité, au travers des interventions de Philippe Henry, Julie Chantry, Marc Dufrène (ULG) et Julien Taymans (Natagora BW) : recréer l’habitat est une priorité. En Brabant wallon, il faut se concentrer sur les zones agricoles qui occupent 67 % de la surface du BW. Mais la biodiversité doit aussi trouver sa place dans les villes et les zones urbanisées (20 % du territoire), qui occupent une place croissante en BW. Nous le verrons !